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Jean-Martin Folz, démissionnaire de Peugeot
LA VIE DES GRANDS FAUVES (SANS NUMÉRO)
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Charlie du 4 octobre 2006
Eh oui, le pars.
Avant de partir, je vire huit mille personnes, histoire de
garder la main, mais je pars. C’est une décision
inattendue et brutale, d’autant que j’avais encore deux ans
à tirer. Eh bien moi, je me tire, à soixante ans,
l’âge où tous les hommes politiques et tous les
hommes d’affaires s’accrochent comme des morpions aux poils du
succès. Regardez Chirac ! Regardez Tchuruk ! Je dirige deux
cent huit mille types. J’ai vendu six millions de Peugeot 206,
près de deux millions de Xsara Picasso. Depuis que j’ai
succédé à ce pauvre Calvet, le
benêt du diesel, la valeur de l’action Peugeot a
été multipliée par trois. |e
ponds chaque année quatre millions de véhicules
sur notre bonne vieille terre. Je suis un pondeur de voitures.
J’ai fait Polytechnique, j’ai
été scout, j’ai joué au rugby, j’ai
fait des enfants. Je remercie ma douce et tendre colombe de m’avoir
dit, le jour des noces : « C’est moi ou la chasse.
» Ce fut elle.
Alors, pourquoi je pars ? Parce que j’ai
fait, pendant longtemps, le métier le plus débile
de la terre : vendre des bagnoles. Vendre des bagnoles ! Vendre des
yaourts, des timbres-poste, des fromages, à la rigueur, mais
des bagnoles ! Vous êtes allé à Venise
? Vous avez vu une ville sans bagnoles dans votre vie ?
Voilà le pire : toute ma vie, j’ai
créé de la laideur. C’est moi qui ai fait les
autoroutes, les périphs, les bretelles,
les banlieues hideuses avec les supermarchés, moi,
Jean-Martin, mea culpa, amen. C’est pas tellement la pollution, la
couche d’ozone, le réchauffement de la
planète, non, c’est le fait qu’une bagnole souille
esthétiquement le monde... Comment vous dire... J’aime les
chevaux. Je suis cavalier. Vous avez vu des fantasia ou des courses de
chevaux ? Oui ? Et des courses de bagnoles ? La laideur, le
bruit, la connerie sublimée dans la ferraille...
Vous vous dites : «
II est sacrement déprimé, le mec ! Vive le psy !
» Je réponds : « Allez bosser, minables.
Moi j’arrête, et « je marche dans la
beauté », comme disaient les Navajos. »
Oui, stop. Ça suffit. Quand je vois Juppé qui
veut remettre ça... Alain, regarde le ciel de Bordeaux, bois
un coup - moi, je préfère le bourgogne -,
arrête, repose-toi, fais un break. Allez, une
dernière confidence. Vous savez quelle est votre vitesse
moyenne ? Quand vous ajoutez tout le temps de travail passé
à payer votre voiture, au temps passé
à rouler, vous trouvez une moyenne annuelle de six ou sept
kilomètres à l’heure. Ah, ah ! Au fait, vous
êtes Peugeot ou Renault ?
O.B.
Mots clés : Gaston Folz, Polytechnique, automobile, Peugeot
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