LA VIE DES GRANDS FAUVES N°56

Charlie du 28 février 2001

Vous voulez me foutre en colère ! Ditesmoi « Voynet, ksss, ksss ». J’aime pas les Verts. J’aime le gazole et l’atome. Quand je pense que les Verts et une partie du PS veulent augmenter la fiscalité sur le gazole ! Je suis contre. Plus ça pue, plus ça pollue, et plus je suis content. Je suis secrétaire d’État à l’Industrie, vous comprenez ? II faut choisir : l’industrie ou les petits oiseaux. Vous voulez du PIB, du bonheur ? Alors, bouffez du gazole ! Je suis heureux d’avoir saboté la TGAP (Taxe générale sur les activités polluantes). Tous les matins, je sniffe un peu de gazole au pot d’échappement de ma Safrane.

J’ai cinquante-quatre ans, suis né à Bar-leDuc. Père était officier de marine, mère faisait des enfants. J’ai fait l’ENA, promo 1972 Charlesde-Gaulle, la même promo que Juppé, puis la Cour des comptes. En 1993, je suis devenu viceprésident du Groupe Accor (Hôtellerie et salmonellose associées). En 1997, j’ai été élu député des Vosges.

Je suis fabiusien, et mes idées sociales sont simples : je suis contre les 35 heures - au moins pour les PME -, pour la flexibilité du travail, pour la privatisation rapide d’EDF et GDF, bref, je suis libéral. Je suis moi-même un grand entrepreneur libéral : je dirigeais Ibex, une petite société de conseil qui a reçu des subsides de la Cipa, une entreprise en faillite frauduleuse qui avait récupéré ces même subsides de l’Etat. C’est normal : l’État doit favoriser le libéralisme, donc filer du fric aux entrepreneurs. Bien. On ma mis en examen pour « recel d’abus de biens sociaux ». J’ai prié et j’ai été relaxé.

Maintenant, je suis dans la merde pour une histoire de pompiers de ma mairie de Saint-Dié ! Le fric et les pompiers ! Vade retro, Satanas !

Car mon grand titre de gloire est d’être catho pratiquant. J’ai la foi. Mes parents avaient la foi. Mes quatre enfants ont la foi. Je représente le gouvernement auprès du Saint-Siège lors des béatifications. Ah ! les béatifications... J’ai béatifié le père Ozanam en 1997 et le père Chaminade en suivant. J’admire le pape.

Avoir la foi m’aide à bétonner et à polluer la France. Je me dis que plus le jardin terrestre sera souillé, abîmé, détruit, plus le jardin d’Éden sera merveilleux pour tous ces prolos de merde qui en auront bavé toute leur vie pour, enfin, finir au milieu du chant des séraphins sans fesses et des anges sans sexe... Un Tchernobyl, ça vous efface d’un coup des années de purgatoire ! Chaque kilomètre de goudron vaut une indulgence.

Je suis également franc-maçon. Mais dans une loge réservée aux croyants. Et puis je suis un grand poète : entre deux réunions, je lis Minou Drouet. Je fais des aquarelles également. Ah ! les aquarellistes... Bref, je suis humain sous mon pot d’échappement. Je chante. Je connais même des chansons socialistes : « Tiens, voilà du Jospin » et « Quand je pense à Hollande, je bande » ! J’oubliais je lis Heidegger (notez, les boeufs, notez) et j’aime l’astronomie. Je lève le nez vers les étoiles. Ça m’aide à oublier le monde que je fabrique avec les « industriels », ce monde où on ne voit plus le ciel.

O.B.

Mots clés : Christinan Pierret, ENA, Accor, privatisation, libéral