Mestrallet boit la tasse
LA VIE DES GRANDS FAUVES N°154
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Charlie du 05 mars 2003
Je suis formel, il n’y a pas de crise dans mon groupe, et je rappelle [1], que je suis né un 1er avril. J’ai cinquante-deux ans, j’ai d’abord fait Polytechnique (X-Mines, la botte, tudieu, la botte !), puis l’ENA, promo « Y’a de l’eau dans le gaz », j’ai voté Mitterrand, et en 1982 je suis entré au cabinet de l’abbé Jacques Delors comme conseiller technique chargé des affaires industrielles. Mon charme est naturel, ma grâce est légère et je monte aussi bien à cheval que Fabius. Je suis sobre, modeste, sans colères légendaires. En 1984, je suis entré à Suez, puis Suez a fusionné avec la Lyonnaise des eaux, Jérôme Monod (oui, le type qui n’a jamais signé de pacte de corruption avec Carrignon, le responsable de la dernière campagne de Jacques Chirac) m’a nommé patron. Je vends de l’eau dans le monde entier - 800 millions d’êtres humains ri ont pas accès à de l’eau potable, je ne sais pas pourquoi je dis ça -, je suis pour le développement durable, et me voilà. Dans la merde. Suez a des « problèmes de liquidité » , ah, ah, ah !
Donc, mercredi dernier, le soir, lisant la superbe interview de Pierre Péan dans Charlie, qu’apprends-je ? Le cours de mon action s’effondre de 17 % ! En cinq jours, mon action perd 30 % ! La COB interrompt la cotation ! La honte, la honte. Et pourquoi ? Parce que j’utilise les mêmes commissaires aux comptes qu’Ahold, le géant de la distribution néerlandais. Or ces commissaires ont bidonné les comptes d’Ahold. Donc les marchés croient qu’ils ont aussi bidonné les miens ! Salauds de marchés ! Qu’est-ce que j’en sais, moi, si mes comptes sont bons ? J’annonce 900 millions, allez, disons, un milliard d’euros de pertes. Ça suffit, non ?
Me voilà endetté jusqu’à 120 % de mes fonds propres. Et c’est là qu’arrive Albert. Frère. Le baron. Le ferrailleur enrichi. Le vautour de Charleroi. Mon actionnaire de référence, 7,6 % des actions Suez. La chute boursière le ruine. Quéquifait, Albert ? Il me téléphone, me fait virer mon directeur financier, et me fait embaucher des Belges. Plein de Belges, dont Pierre Hansen, le patron d’Electrabel, son affidé.
Il me faut du cash. Je veux vendre ma participation dans M6 (37,34 % des parts). Un milliard d’euros. Qui qu’en veut ? Je l’ai proposée à Albert. Il possède 25 % de Bertelsman, le gentil éditeur. Or Bertelsman possède 45,22 % de M6. Albert rétorque qu’une putain de loi française interdit d’avoir plus de 49 % d’une chaîne. Je lui dis qu’avec Raffarin cette loi n’en a pas pour longtemps. Rien à faire. Il pense que la pub s’effondre dans la télé, que M6 ne vaudra pas tripette dans peu de temps, et que de toute façon j’ai qu’à virer Tavernost, le patron de M6. Pourquoi, dis-je ? « Pour le fun. » Il est comme ça, Albert. Il aime le pognon et il est méchant. À croire que c’est un capitaliste.
O.B.
Mots clés : Mestrallet, Polytechnique, X-Mines, ENA, Suez, Lyonnaise des eaux, actionnaire
[1] Voir Charlie du 23/05/01.
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